Du droit au logement et de Godot

Le logement n'est pas une marchandise mais un droit, n'en déplaise au gouvernement actuel du Québec. Plutôt que de se défiler sous de faux prétextes, le gouvernement devrait respecter, protéger et même promouvoir ce droit fondamental. Encore faudrait-il que nos tribunaux l'amènent à agir en ce sens.

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Mettre sur le dos des personnes immigrantes le fait que le Québec n'arrive pas à combler le manque de logements, comme l'a fait le Premier ministre québécois, est non seulement inexact, mais en plus c'est refuser de voir à l'application d'un droit fondamental, en ciblant un groupe particulier de la population pour se justifier.

Comme je le rappelais dans mon billet du 22 février dernier, le Canada a ratifié en 1976, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels qui comprend le droit au logement. Ottawa s’est même engagé à mettre en œuvre progressivement ce droit.

J'avoue qu'une partie de la réponse du Premier ministre au chef parlementaire de Québec Solidaire, dans le dernier échange qu'ils ont eu sur le droit au logement, m'a surprise.

« On ne commencera pas à faire une compétition entre le chef de Québec solidaire et moi pour savoir qui a les plus belles valeurs », a dit le chef du gouvernement. Pas de droit fondamental au logement, dit Legault

Il est vrai que les droits sont le reflet de valeurs mais tout de même, un droit est un droit. En plus, comme l'écrit Vincent Brousseau-Pouliot dans La Presse, à propos de la clause dérogatoire, déroger aux droits fondamentaux n’est pas une valeur québécoise.

M. Legault aurait intérêt à consulter la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec.

La Commission souhaite rappeler à l’ensemble des acteurs concernés que le droit au logement est protégé par la Charte des droits et libertés de la personne. En effet, ce droit fait implicitement partie du droit à des mesures d’assistance financière et à des mesures sociales susceptibles d’assurer un niveau de vie décent, énoncé à l’article 45 de la Charte québécoise. Plusieurs textes internationaux en vertu desquels le Québec s’est déclaré lié le prévoient également. Le droit au logement est protégé par la Charte des droits et libertés de la personne

Non seulement le Canada, mais le Québec lui-même a ratifié et même adhéré au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels en 1976, même si ses dispositions s’appliquaient de toute façon sans limitation ni exception aucune, à toutes les unités constitutives des États fédératifs.

La vraie question n'est donc pas de savoir si le droit au logement existe ou non, mais plutôt si ce droit est défendable devant les tribunaux québécois et canadiens.

C'est probablement là où le bat blesse.

Comme l'écrivait le juge à la retraite Louis LeBel en août 2021, les tribunaux font preuve de réticence à l’égard de la mise en oeuvre des droits socioéconomiques. Cette réticence s'expliquerait par la culture juridique propre au Québec et au Canada qui «est favorable à la protection de droits négatifs ou de droits-libertés mais (...) hésiterait à constitutionnaliser des droits positifs susceptibles d’établir des créances du citoyen contre l’État.»

Les tribunaux supérieurs ont tendance à refuser de reconnaître les droits économiques et sociaux comme des droits justiciables, sous prétexte qu'ils relèveraient du pouvoir législatif et qu'ils seraient donc au-delà de leur compétence.

Traditional civil and political rights, conceived as negative rights, were ascribed to the courts while social rights, conceived as positive rights, were deemed to fall within the exclusive purview of legislatures, engaging matters beyond the institutional legitimacy and competence of the courts. (...) the result, intentional or not, has too often been to banish those living in poverty and homelessness from access to justice and the equal protection and benefit of the Charter. Bruce Porter et Martha Jackman. Advancing Social Rights in Canada, 2014. Pages 13 et suivantes.

Christine Vézina, professeure de droit à l’Université Laval , ainsi qu'une dizaine de membres de la Communauté de recherche-action sur les droits économiques et sociaux (COMRADES) et la Ligue des droits et libertés, signait une lettre d'opinion en octobre 2022 qui débutait par un constat d'échec du politique.

En ces premiers jours post-élection, nous souhaitons dire à quel point il nous est apparu absurde de voir que des enjeux aussi essentiels que d’avoir un toit ou de pouvoir se faire soigner dans notre Québec contemporain être traités comme des promesses électorales. Les droits économiques et sociaux doivent être abordés de façon transpartisane

Or, la grande difficulté de plaider devant les tribunaux fait en sorte, par exemple, qu'un élu peut dire sans sourciller que le l'accès au logement est une question de valeurs.

À quoi sert d'avoir signé des textes internationaux qui devraient garantir le droit au logement et que ce droit soit protégé par la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, si les tribunaux n'obligent pas le législatif à faire en sorte qu'il soit pleinement respecté lorsqu'un défaut évident de le faire est porté à leur attention?

Sans compter que de devoir passer par les tribunaux est long et coûteux. Or, les personnes victimes du non-respect de leur droit au logement (ou de tout autre droit économique et social) ont ni les moyens, ni envie d'emprunter la voie tortueuse de la justice.

Je ne voudrais cependant pas être seulement négative envers le pouvoir judiciaire. Il se fait présentement des travaux par la Communauté de recherche-action sur les droits économiques et sociaux (COMRADES) sur les aspects juridiques des droits économiques et sociaux qui pourraient déboucher sur des jugements amenant un changement dans la jurisprudence concernant les droits économiques et sociaux. Notamment via les recours collectifs.

L'idée n'est pas que les juges légifèrent à la place des élue·e·s, mais de s'assurer que nos élue·e·s remplissent leurs obligations de voir au respect des droits économiques et sociaux dont fait partie le droit au logement.

Parce que soumettre le droit au logement aux seuls aléas de la politique, c'est aussi absurde que d'attendre Godot.


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