Signes religieux, déroger ou non aux Chartes?

La Loi 21 sur les signes religieux est devenue l'objet d'une bataille légale contre le port de signes religieux par les employé·e·s de l'État que le gouvernement au pouvoir semble avoir jusqu'ici remportée. Peu importe le cheminement politique et légal qui va suivre, la question demeure tout de même de savoir si déroger aux chartes des droits et libertés aurait dû être la voie choisie par le gouvernement québécois.

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Sur le plan politique, la décision d'interdire le port de signes religieux aux employé·e·s de l’État – les juges, les policiers, les procureurs de la Couronne, les directeurs d’école et les enseignants, notamment – n'a pas fait et ne fait toujours pas l'unanimité à l'Assemblée nationale du Québec.

En gros, le Parti Québécois est pour et a même invité le gouvernement à aller plus loin dans l’application de la Loi sur la laïcité, le parti Libéral est contre, mais sans s'y opposer frontalement, tandis que la position de Québec solidaire sur la loi 21 s’embrume.

Le PLQ a récemment déclaré qu'il s'oppose au renouvellement du recours à la disposition de dérogation de la Constitution canadienne pour blinder la Loi sur la laïcité de l'État contre les poursuites judiciaires. Mais celui qui est considéré comme le principal candidat dans la course à la chefferie du PLQ a dit qu'il ne touchera pas à la Loi 21.

Vous me suivez?

Ce qui complique les choses, et pas seulement politiquement, c'est qu'il y a deux dispositions dérogatoires: celle qui permet d’adopter une loi qui déroge à certains articles de la Charte canadienne des droits et libertés, et celle qui en fait autant en ce qui concerne la Charte des droits et libertés de la personne du Québec.

C'est à la première des deux que s'oppose le PLQ, enfin tant que la course à la chefferie libérale ne sera pas terminée.

Québec solidaire n'est pour sa part pas certain de voter en faveur du renouvellement de la clause dérogatoire à la Charte canadienne parce que le Québec n'a pas adhéré au rapatriement de la constitution canadienne. Mais il va voter pour si la clause dérogatoire à la Charte québécoise est enlevée de la Loi.

J'ai beau soutenir QS à chaque élection, je trouve que cette position est pour le moins incongrue. On ne peut pas dire qu'on est contre la Charte canadienne mais qu'on va se boucher le nez et voter pour la Loi 21 si la dérogation à la charte québécoise est enlevée.

Enfin.

Derrière ce débat entre les partis politiques sur les clauses dérogatoires, il y a celui beaucoup plus fondamental de l'égalité entre les femmes et les hommes.

Et là, ça se complique vraiment.

On ne va pas se faire de cachette, la Loi 21 vise essentiellement les musulmanes qui portent le voile et là, ce sont deux approches féministes qui se confrontent.

Bon d'accord, il y a aussi du racisme dans l'opposition au voile, mais mettons-le de côté pour ce billet.

Marie-Claude Girard, retraitée de la Commission canadienne des droits de la personne, écrivait en novembre 2022 que «le choc des approches universaliste et intersectionnelle, en ce qui a trait au droit des femmes à l’égalité, se retrouve aujourd’hui au cœur du procès de Loi sur la laïcité de l’État (loi 21).»

Un exemple de position universaliste est celle de Nadia El-Mabrouk, une militante pro laïcité qui a souvent pris position à ce sujet dans les médias. Pour elle, «le voile transmet la « très mauvaise image » d’un islam « sexiste ». Il est crucial que les enfants n’intègrent pas qu’il est « normal » de porter un signe religieux, et donc, de facto, que la femme est « inférieure » à l’homme.»

Du côté de l'approche intersectionnelle, on retrouve la position de la Fédération des femmes du Québec (FFQ) et du Fonds d’action et d’éducation juridique pour les femmes (FAEJ-LEAF), pour qui «la récente décision de la Cour d’appel du Québec concernant la loi 21 a profondément ébranlé la protection du droit à l’égalité des genres énoncé à l’article 28 de la Charte canadienne des droits et libertés.»

La question essentielle est de savoir si le port du voile enferme dans un patriarcat religieux contraire au droit des femmes à l’égalité, ou si le fait de l'interdire ajoute une forme supplémentaire de discrimination envers les femmes qui le portent.

Pour la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse qui l'écrivait au moment du dépôt du projet de loi 21, «la laïcité ne peut viser à limiter l’exercice de la liberté de religion à la sphère privée. Ceci serait contraire aux objectifs de la laïcité.»

Oui mais, il y a le patriarcat religieux contre lequel il faut lutter.

Pour moi, la lutte contre le patriarcat et l'extrémisme religieux est fondamentale, au même titre que la lutte contre toutes les formes de patriarcat.

Cependant, elle ne devrait pas se faire en dérogeant aux droits et libertés de la personne.


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