Illusion, mensonge et politique

Pour la philosophe Hannah Arendt (1906–1975), le mensonge, l'illusion et l'erreur sont des éléments intrinsèquement liés à l'action politique. Faut-il être habile dans l’art d’arranger les faits quitte à dire ce que l’on sait ne pas être vrai pour faire de la politique?

#Politique #Ethique

Dans le code d’éthique et de déontologie des membres de l'Assemblée nationale du Québec, on peut lire que «la conduite du député est empreinte de bienveillance, de droiture, de convenance, de sagesse, d’honnêteté, de sincérité et de justice.»

C’est donc dire qu’en principe le mensonge y est proscrit.

Pourtant, plusieurs ont l’impression que la politique c’est l’art de mentir, même en plein débat parlementaire, ou du moins l’art de ne pas dire la vérité, rien que la vérité.

Je ne sais pas si vous le saviez, mais à l’Assemblée nationale le fait de dire qu’un·e député·e a menti est considéré comme un propos non parlementaire. De même que les mots mentir, menterie et sans doute d’autres synonymes.

Pourtant, comme l’écrivait le philosophe Réjean Bergeron en septembre 2023 dans une lettre d’opinion, «année après année, nos politiciens font des progrès et apprennent de mieux en mieux à déformer la réalité, à voiler la vérité ou à renier leur parole, et ce, sur des enjeux parfois majeurs.»

Pour Josée Legault qui a une bonne connaissance de la politique québécoise, «qu’on l’appelle duperie, demi-vérité ou spin, mentir est un des principaux outils de la communication politique».

Elle a écrit cette phrase en 2018, en commentant le mensonge de Vincent Marissal qui niait bec et ongles ses approches répétées auprès du Parti libéral du Canada (PLC) avant qu’il finisse par annoncer sa candidature pour Québec Solidaire.

Pourtant, ce mensonge qui discréditait sa candidature ne l’a pas empêché de se faire élire. Peut-être est-ce parce qu’au fond la politique est un art, que le mensonge fait partie de cet art et que nous ne nous en formalisons pas.

Au contraire, la philosophe italienne Gloria Origgi s’en formalise. Dans son dernier ouvrage, La vérité est une question politique, elle pose une question essentielle : «une démocratie peut-elle survivre sans institutions qui protègent la vérité ? » Pour elle, «nous avons besoin de faire de la vérité un concept politique, à l’égal de la justice ou de la liberté.»

Elle prend ainsi le contrepied d’Hannah Arendt pour qui la vérité n’est justement pas politique.

Dans une entrevue récente sur France Culture, Gloria Origgi explique ainsi l’objectif de son ouvrage:

“ce que j’essaie d’argumenter dans ce livre est que cette notion de vérité, qui est typiquement philosophique, devient au XXIe siècle une notion politique. Comprendre ce qu’est la vérité, comment on la présente aux autres, comment sont construits les faits, savoir si les citoyens sont capables de faire la différence entre le vrai et le faux, devient un enjeu important. Comment gouverner à l'ère de la post-vérité ? 4 mars 2024.

C’est d’autant plus important que nous avons sur la scène fédérale un chef de parti politique qui ne semble pas trop s’embarrasser avec la vérité, sans que ça diminue ses chances de devenir premier ministre.

Face à une telle attitude désinvolte par rapport à la vérité, on ne doit pas se dire que de toute façon le mensonge est consubstantiel à la politique.

Ce serait une erreur que nous pourrions un jour payer de notre liberté.

Photos: Assemblée nationale du Québec et Parlement fédéral canadien.


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