Encadrer les unions libres, qu'ossa donne?

Seule province canadienne à ne pas avoir jusqu'à présent de cadre juridique pour les couples vivant en union libre, dans l’éventualité d’une séparation ou d’un décès, le Québec compte plus de 43% de couples qui sont dans cette situation. Un projet de loi présentement débattue à l'Assemblée nationale prétend changer la situation. Qu'en est-il au juste?

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Jusqu'ici, le discours de nos élu·e·s s'opposait à l'encadrement législatif des unions libres que propose le projet de loi n° 56, Loi portant sur la réforme du droit de la famille et instituant le régime d'union parentale.

Pour justifier ce qui semble un volte-face législatif, le ministre de la Justice invoque la nécessité de protéger les enfants né·e·s d'un couple vivant en union libre dans le communiqué annonçant le projet de loi.

Aucun enfant ne devrait faire les frais de la séparation de ses parents. Depuis les années 80, le taux de couples non mariés a quintuplé, si bien que désormais, la plupart des enfants naissent d'unions libres au Québec. Il était devenu essentiel d'agir pour adapter le droit aux nouvelles réalités familiales et prévoir un filet de sécurité pour offrir aux enfants la meilleure stabilité possible en cas de rupture des parents. Simon Jolin-Barrette, ministre de la Justice et procureur général du Québec.

La ministre de la Famille Suzanne Roy enchérit dans le même communiqué.

Les enfants doivent être au cœur des progrès sociaux que nous souhaitons pour le Québec et c'est ce que nous prouvons avec ce projet de loi. C'est essentiel d'assurer une meilleure stabilité pour nos enfants et une plus grande équité pour nos familles.

Dans le communiqué, il n'est nullement question du fait que les femmes auraient beaucoup à gagner d'un encadrement juridique des couples vivant en union libre.

En effet, dans les couples hétérosexuels, selon les travaux des professeures Hélène Belleau et Maude Pugliese du Centre Urba­ni­sation Culture Société de l’Institut natio­nal de la recherche scientifique (INRS), les femmes ont tendance à être désavantagées tant au sein du couple qu’au moment de répartir le patrimoine lors de la séparation.

C’est bien souvent au moment de la rupture qu’elles apprennent à la dure que le droit québécois ne traite pas de la même façon les couples mariés et non mariés. Effectivement, à moins d’avoir un contrat de vie commune – ce que très peu de gens ont –, les biens et avoirs seront répartis en fonction de qui a payé quoi. Et à condition d’avoir encore la facture ! Le patrimoine familial à l’ère des unions libres. Québec Science, 16 novembre 2023.

Comme l'image bien Hélène Belleau, monsieur repart avec la maison, alors que Madame repart avec ses sacs d’épicerie vides.

Dans la plupart des cas en effet, seul l'homme a les moyens d'accumuler du patrimoine. Pour Hélène Belleau, par leur manque de volonté politique de changer le droit de la famille, les élu·e·s se déresponsabilisent vis-à-vis du sort socioéconomique des individus.

Cinq mois plus tard, le gouvernement semble faire preuve de volonté politique, mais pour «protéger les enfants». Le ministre de la Justice a en effet pris soin de préciser qu’il n’avait pas pour objectif de donner aux conjoints en union libre un encadrement législatif semblable à celui des couples mariés.

De fait, même en ce qui concerne la protection des enfants, Carmen Lavallée, professeure titulaire de la Faculté de droit à l’Université de Sherbrooke, souligne l'incohérence du ministre dont la loi ne protégera que les enfants à naître après l’entrée en vigueur de la loi. Son analyse des dispositions du projet de loi l'amène à conclure que les conséquences économiques de la rupture de l’union de fait, sur les enfants comme sur les conjointes de fait, ne seront pas vraiment réduites.

Déjà que les femmes qui travaillent sont pénalisées par la maternité, sans compter qu'en couple, le patrimoine des femmes est moindre.

En résumé, à moins d'un profond changement d'ici son adoption, le projet de loi 56 changera bien peu la situation actuelle et même future.

La plupart des femmes vivant dans un couple en union libre demeureront perdantes, par manque de volonté politique de vraiment changer l'iniquité favorisant les hommes.

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En complément mon billet du 23 mars, Patrimoine individuel: mieux vaut être un homme qu'une femme


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