Les médecins de famille comme boucs émissaires

Si je devais choisir un seul mot qui décrive l'accès aux soins de santé, ce serait le mot attente. C'est aux 10 300 médecins de famille du Québec que le gouvernement actuel confie la tâche d'améliorer l'accessibilité, peut-être parce que ça lui procure un bouc émissaire? Mais au fond, si c'était plutôt la conception même de ce qui doit favoriser une meilleure accessibilité aux soins de santé qui posait problème?

#Medecins #Sante #SoinsDeSante

Selon les chiffres du ministère de la Santé, il y a plus de 63 000 personnes qui n'ont pas de médecin de famille. Et selon la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), près de 600 postes de formation en médecine familiale n’ont pas été pourvus depuis les 12 dernières années.

Au dire du président de la FMOQ la profession de médecin de famille est dévalorisée et dénigrée. Cette remarque s'adressait certainement au ministère de la Santé plutôt qu'à la population en général.

Je serais très surprise que l'image des médecins de famille soit négative aux yeux de la population.

Par contre, je suis dubitative face ce que je lis dans une brochure publiée en 2022 par le Collège des médecins du Canada, voulant que les médecins de famille soient le meilleur moyen de bénéficier d’un accès à des soins primaires complets, globaux et continus.

Au contraire, selon Marie Leclaire, Marie-Pierre Codsi, Philippe Karazivan et Mylène Leclerc, respectivement psychologue, médecins de famille et infirmière clinicienne, l’accessibilité aux soins ne peut pas reposer sur une seule approche, un seul intervenant, comme c’est le cas dans la proposition actuelle d’un·e médecin de famille pour tous.

On nous martèle que le problème est que trop de patients attendent encore leur médecin de famille. Nous avons plutôt l’impression que le problème n’est pas posé correctement. À force d’attendre Godot, on semble avoir oublié qui il était, et même pourquoi on l’attendait. La promesse, à force d’être répétée, nous déresponsabilise et nous dépolitise, nous empêchant de voir qu’il nous appartient collectivement de définir l’accessibilité aux soins. La santé comme bien commun. La Presse. 23 novembre 2021.

Le ministre de la Santé semble avoir atténué son objectif de faire en sorte que tout le monde ait un·e médecin de famille, en ajoutant les superinfirmièr·e·s dans l'équation.

Loin de moi de nier l'importance des médecins, ni des superinfirmièr·e·s, mais c'est comme si on réalisait qu'on a trop centré l'accessibilité aux soins de santé sur les médecins de famille et qu'on ajoutait une pièce au puzzle en espérant que ça atténue les attentes qu'on a créées au sein de la population.

Il ne sera pas facile de changer de perspective avec la création de l'Agence de santé. Je sens que la vision administrative de notre système de santé va nous éloigner encore davantage de la vision communautaire qui fut celle des premières années des CLSC, à une époque où la population était davantage impliquée dans le choix le plus approprié des services en soin de santé.

Je fais allusion aux Centres Locaux de Services Communautaires d'avant les fusions d'établissements votés en 2015 par le parti libéral alors au pouvoir, puis les transferts des professionnel·le·s des CLSC vers les groupes de médecine familiale (GMF) qui les ont passablement éloignés de leur vocation originale.

Outre le fait d'impliquer la population qu'ils desservaient avant les changements qui ont signifié la perte de leur autonomie, les CLSC privilégiaient le travail en équipe multidisciplinaire dans le but d’obtenir un impact sur la santé de l’individu, mais aussi sur leur communauté.

L'approche d’intervention particulière aux CLSC est très difficile à appliquer aujourd’hui à l’intérieur des Centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux (CIUSSS). Il n’y a plus d’équipe multidisciplinaire CLSC, dédiée à un quartier, qui travaille dans une approche globale de la personne afin d’améliorer, à la fois, la santé des individus et des communautés dans lesquelles ils habitent. Réflexions et histoire des CLSC et du système de santé québécois

Pour Lorraine Guay, militante au sein du mouvement communautaire autonome et infirmière à la Clinique communautaire de Pointe-St-Charles de 1972 à 1985, bien qu'on ne puisse pas retourner en arrière, on pourrait tout de même s'inspirer du passé «pour mettre en place une véritable première ligne publique au Québec par des structures de proximité souples, participatives, à taille humaine et dans lesquelles le droit à la santé constituerait un principe non négociable.» (Les CLSC, nouveau rempart pour le droit à la santé?)

Souhaitons que dans un avenir pas trop éloigné on se rende compte que la vision que portaient les CLSC était loin d'être bête.


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