Le nomadisme numérique comme privilège

Il y aurait entre 35 et 40 millions de nomades numériques dans le monde. Le phénomène prend de l'ampleur au point où le Canada a annoncé une stratégie pour les attirer. On peut voir le nomadisme numérique comme un style de vie enviable, mais on peut aussi poser un regard critique sur ces nomades provenant essentiellement de la classe moyenne.

#Migration #Nomadisme #Numerique

Si je résumais en très gros, je dirais que les nomades numériques sont des sortes de touristes traînant le travail dans leur bagage. C'est en partie cette idée de voyage et de découvertes qui semble les motiver.

Encore faut-il que ces nomades possèdent des facteurs facilitants (caractéristiques sociodémographiques, niveau de scolarité, indépendance financière,connaissance de l’anglais, absence de contraintes familiales).

Comme le souligne Philippe Massé-Leblanc dans un mémoire déposé au département d'anthropologie de l'Université de Montréal (Le nomadisme numérique. Nuances d’un style de vie idéalisé), «la littérature sur les questions de pouvoir et de mobilité semble confirmer mon constat à l’effet que devenir nomade numérique nécessite un statut privilégié, qui se manifeste par un certain pouvoir de mobilité.»

Déjà, le fait que près de la moitié des nomades numériques proviendraient des États-Unis et qu'une bonne majorité serait des hommes, sont autant d'indicateurs allant dans le sens de cette nécessité d'être parmi les privilégié·e·s de ce monde (selon cette source).

L'anthropologue Fabiola Mancinelli confirme ce statut de privilégié dans un article où elle interroge le domaine de la mobilité comme mode de vie à partir du phénomène des nomades numériques.

Les personnes que j’ai rencontrées lors de mes recherches proviennent en majorité de sociétés de capitalisme avancé, occidentales et anglophones dans la plupart des cas, et détiennent des passeports « forts » facilitant leurs stratégies de mobilité. Nomades numériques. La mobilité comme « projet du soi ».

Le statut de «touristes» est aussi confirmé par les nomades numériques que Fabiola Mancinelli a rencontrés qui «se décrivent comme des touristes lents (slow tourists), et ont entre trois et cinq destinations par an.»

Ce qui m'amène à aborder un aspect négatif qui a été l'objet de mon billet Airbnb, une des plaies du capitalisme, la pression à la hausse sur le coût des logements. C'est le cas à Mexico et sans doute dans d'autres villes qui attirent les nomades numériques.

Je doute qu'Ottawa prévoit dans sa stratégie visant à attirer les nomades numériques des mesures d'atténuation de cette pression dans les principales villes canadiennes qui les accueillent.

La dimension touristique n'est évidemment pas la seule motivation à la source du nomadisme numérique. Plusieurs, nous dit Fabiola Mancinelli, sont motivés par l’idée que chacun a le pouvoir de choisir comment vivre sa vie.

Le hic, c'est que c'est une fausse idée. Les flux migratoires les plus importants sont le fait de gens qui au contraire n'ont pas ce pouvoir, soit parce que ces personnes doivent fuir leur pays pour leur propre sécurité, où dans l'espoir de trouver des conditions économiques meilleures que celles de leur pays d'origine.

On peut comprendre leur désir de se déplacer d'un pays à un autre, encore faut-il que ces nomades soient conscients d'être des migrant·e·s dans une classe à part.


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