Rentables pour qui, pourquoi?
Le verbe rentabiliser est devenu le leitmotiv des temps présents. Il faut tout rentabiliser, à toutes les phases de notre vie, une vie qui se doit d'être productive. D'où vient ce sentiment de devoir faire en sorte que chaque moment de notre vie compte, idéalement en espèces sonnantes et trébuchantes?
#Capitalisme #Technologies #Travail #ViesPersonnelles
La quantité de méthodes et de techniques destinées à nous aider à mieux gérer notre temps, à être plus efficace, est phénoménale. Tantôt on nous propose 9 conseils pour être efficace, tantôt c'est 17 conseils pour mieux gérer son temps au travail; mieux encore: 9 clés pour reprendre le contrôle sur sa vie et gérer son temps.
Il y en a des pléthores.
Une première explication de cette frénésie qui s'est emparée de bon nombre de personnes dans nos sociétés dites avancées est sans doute notre rapport au travail.
Les organisations, privées d'abord puis de plus en plus publiques, ont fait en sorte d'accélérer les cadences de travail.
Dans l'industrie, le problème des rythmes de travail se pose avec acuité. Il est l'un des plus difficiles à résoudre et le chronométrage ne donne que des résultats imparfaits. La nocivité des allures élevées est encore mal connue, mais leur incidence sur la fatigue nerveuse est incontestable. [Pierrette Sartin. Rythmes de travail… et cadences infernales](Rythmes de travail… et cadences infernales)
L'extrait ci-dessous provient d'un texte datant de 1970. La gestion du personnel axée sur l'efficacité existait avant ces années-là, bien sûr, mais dans les décennies qui ont suivi elle s'est de plus en plus perfectionnée.
En fait, pour reprendre l'explication du chercheur Thibault Le Texier, les gens ont été de plus en plus «imbibé par le management» et le fait d'appliquer des techniques et des outils de mesure, bref une logique technique à notre existence, est devenu quelque chose qui nous semble naturel.
Les outils eux-mêmes se sont perfectionnés avec l'entrée massive de l'électronique dans nos vies. L'agenda papier a été remplacé par l'agenda électronique et une panoplie d'instruments personnels sont apparus dont le téléphone dit intelligent, devenu en quelque sorte l'épicentre de cette obsession de vouloir rentabiliser notre temps dans le but d'être le plus efficace possible dans nos vies personnelles, à l'image de nos vies professionnelles.
Interrogée en 2020 par Isabelle Morin de La Presse, la psychanalyste et psychologue Hélène L’Heuillet à propos de son ouvrage Éloge du retard, «une réflexion philosophique sur le temps : celui qui passe, celui qu’on perd, celui qu’on s’acharne à vouloir contrôler, mais surtout, celui qu’on s’essouffle à vouloir rentabiliser», cette dernière souligne à quel point justement «notre vie est soumise à des impératifs permanents de rentabilisation du temps.»
Pour ma part, je ne crois pas que la solution soit du côté de la psychologie, mais plutôt de celui de notre système économique dominé par l'idéologie de la rentabilité.
C'est ce système qu'il faut réformer pour ramener le temps de vivre au cœur de nos vies.
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