On gig ou on gig pas?

J'ai été surprise de lire dans un texte daté du 22 février dernier que plus de 28 % des adultes canadiens avaient un emploi à demande en 2023. Certes, il s'agit d'un revenu d'appoint pour plusieurs. N'empêche que l'emploi à demande est une tendance qui n'est pas prête de s'arrêter, le travail pleinement autonome étant passé de 5,5 % des adultes canadiens en 2005 à environ 10 % en 2020.

#Droit #Travail #Uberisation

Chez nos voisins du sud, le travail autonome (freelance) représentait 36% de la population active en 2017, et on estimait alors qu'elle dépasserait 50% en 2027.

Avec les possibilités qu'offre le travail à distance, le travail autonome se déploie même dans des secteurs où on ne l'attendait pas, tel l’écosystème juridique.

« Les avocats talentueux qui avaient peut-être déjà hésité à quitter un cabinet d’avocats pour s’engager dans une carrière plus flexible recherchent activement de nouvelles opportunités de travailler où ils le souhaitent, et quand ils le souhaitent »

Dans ce redéploiement de la main d'oeuvre, il faut distinguer entre les véritables travailleur·e·s indépendant·e·s et celles et ceux des plateformes numériques, tels Uber et autres entreprises du même acabit.

Un net déséquilibre joue en faveur de ces plateformes numériques qui, écrit Bruno Cartosio dans la revue Les Mondes du Travail, «profitent le plus de cette rencontre entre l’offre du travail précaire et la volonté des travailleurs de l’accepter». Les plateformes numériques accumulent des profits importants alors qu'aucun gig worker ne s'enrichit, ajoute-t-il.

Sur le plan juridique, des zones grises demeurent et persistent relativement à la situation des travailleur·euse·s de ces plateformes, selon une thèse récente de Joannie Lamontagne, obtenue dans le cadre de ses études à l'École de relations industrielles, Faculté des arts et des sciences de l'Université de Montréal.

Dans sa recherche, Joannie Lamontagne a voulu savoir si les lois du travail permettent de protéger les travailleurs de ces plateformes en leur reconnaissant les mêmes droits que les autres travailleurs, en comparant la France et le Canada.

Elle a constaté que le statut de salarié·e·s donnant accès à une plus large protection est plus accessible en France qu'au Canada.

Au Canada, notre recherche nous a permis de constater que ces mêmes travailleurs peuvent être considérés comme des entrepreneurs dépendants là où ce statut existe dans la législation. Ces statuts permettent aux travailleurs de plateformes de bénéficier de protections. Cependant, le statut de salarié rattaché au modèle binaire [qui prévaut en France] est plus avantageux pour le travailleur puisqu’il donne accès à une large protection.

De ce que j'en comprends, juridiquement ce n'est pas simple. Il n'y aurait eu qu'un seul cas où un tribunal a eu à trancher la question du statut juridique des travailleur·euse·s de plateformes. La décision du tribunal a donné lieu à une protection limitée, ce que Joannie Lamontagne attribue au morcellement législatif du droit du travail en Ontario comme dans l’ensemble des juridictions au Canada.

Par contre, un important obstacle juridique d'une autre nature a été levé en 2020 par la Cour suprême du Canada, en lien avec les clauses d'arbitrage autonome dites clauses compromissoires, dans le litige opposant M. Heller, un chauffeur-livreur au service d’UberEATS à Toronto, à la multinationale Uber devant les tribunaux ontariens.

La Cour suprême a décrété que ce sont les tribunaux ontariens qui devront en décider, et non pas le tribunal d’arbitrage privé, souvent dans un pays étranger, prévu par le contrat conclu entre Uber et ses chauffeur·euse·s.

Pour en revenir au droit du travail, contrairement au gouvernement fédéral et à celui d'autres provinces dont notamment la Colombie britannique, le Québec accuse un retard législatif en ce qui concerne le statut juridique des travailleur·euse·s de plateformes numériques

Un retard qu'il faudrait combler pour mieux protéger les conditions d’emploi à l’ère de l'ubérisation du travail.

Parce qu’hélas, on gig de plus en plus.

-—

En complément: L’économie numérique. Une fiche technique de l'Institut de l’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC) qui couvre plus large que les plateformes numériques responsables de l'ubérisation du marché du travail. Le SCFP-Québec veut prévenir une « ubérisation » de la SAQ. Les professions du droit face à l’ubérisation et à l’intelligence artificielle.


Si vous êtes membre de Remarks.as, vous pouvez commenter ce billet sur Discuss....