Les Don Quichotte du genre
Quand j’ai lu que le pape revient à la charge contre la théorie du genre, il m’est tout de suite venu à l’esprit cette conférence de la personne intersexe Janik Bastien-Charlebois à laquelle j’avais assisté il y a plusieurs années de cela. Puis, je me suis dit qu’il faudrait bien que j’explore cette théorie du genre qualifiée de pernicieuse par l’Église catholique.
Premier document sur lequel je tombe: un module d’un cours universitaire conçu par l’Unesco sur la théorie de genre. D’entrée de jeu, on y lit que «le « sexe » est l’ensemble des caractéristiques biologiques, héréditaires et génétiques qui organisent les individus en deux catégories : mâle et femelle.» Ça se poursuit en page 2: «le genre renvoie aux catégories sociales (féminin et masculin) et non aux catégories sexuelles (hommes et femmes).»
Apparemment pour l’Unesco, les nuances qui peuvent aller jusqu’à l’intersexualité n’existent pas.
Il se trouve que j’ai découvert un article écrit en 2015 par la journaliste scientifique Claire Ainsworth dans la prestigieuse revue Nature (Sex redefined) qui révèle qu’au contraire, il y a tout un spectre de nuances entre le féminin et le masculin.
Mais revenons à cette fameuse théorie du genre.
En 2014, Anne-Emmanuelle Berger, directrice de l'Institut du Genre au CNRS, expliquait à RTL.fr qu'“il n'y a pas une “théorie du genre” mais des tentatives de description, dans un champ de recherche scientifique qui existe depuis 60 ans, de la distinction entre sexe et genre” RTL. Qu'est-ce que la théorie du genre? 3 octobre 2016
Se pourrait-il que le pape soit le Don Quichotte du genre, pourfendant une théorie qui n’existe pas? Pourtant, l’Unesco a bel et bien bâti un module sur la théorie du genre!
À l’origine de cette notion de théorie du genre, il y a les travaux de Judith Butler.
En 1990, [Judith Butler] publie son ouvrage majeur : Trouble dans le genre, dans lequel elle affirme qu’être féministe, c’est contester les fondements de la catégorie « femme » qui nous enferme et nous impose des normes oppressantes. Pour elle, nos identités sont dictées par des normes et il est important de déconstruire les catégories binaires du masculin et du féminin…
Celles qui osent. Judith Butler et la philosophie du genre. 6 mars 2023.
Ce sont ces travaux et tout le champ académique qui va s’en suivre que celles et ceux qui veulent maintenir les normes fondant les rapports entre les femmes et les hommes vont qualifier de théorie du genre.
En 2011, interrogée par La Vie des idées, la sociologue Laure Berini souligne que la notion de théorie du genre est bien commode pour qui veut pourfendre les recherches sur le genre.
Ce label [théorie du genre] utilisé par les adversaires des recherches sur le genre laisse entendre qu’il existerait un corpus idéologique homogène et doté d’une stratégie politique déterminée. Or le champ des études sur le genre traverse de multiples disciplines, inclut des sous-champs de recherche variés et renvoie à des options méthodologiques et théoriques multiples. Genre : état des lieux Entretien avec Laure Bereni.
Plus près de nous Martin Blais, titulaire de la Chaire de recherche sur la diversité sexuelle et sur la pluralité des genres à l'UQAM, rappelait en octobre dernier que «l’expression « théorie du genre » dans le langage courant a émergé dans les années 1990, mise en avant par le Vatican (…) pour mettre l'accent [sur le fait] que c'était une théorie et des hypothèses non validées».
Le hic, ajouta-t-il, c’est que «les personnes qui récupèrent actuellement cette expression en font un usage rhétorique de disqualification».
Si cet usage rhétorique de disqualification a servi à s’opposer au mariage entre personnes du même sexe, une opposition toujours vivante dans les milieux les plus conservateurs, de nos jours c’est surtout pour disqualifier les personnes qui veulent briser le moule sacré de la binarité des sexes, voire le transgresser dans le cas des personnes transgenres, qu’elle joue désormais.
Sauf que Don Quichotte ne faisait de mal qu’à lui-même en s’en prenant à des moulins.
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