L'agriculture québécoise est bel et bien en crise

Quand j'ai lu la déclaration du premier ministre François Legault voulant qu’il n’y ait pas de crise agricole au Québec, tout au plus des normes environnementales trop sévères, j’ai vu qu'il n'était visiblement pas au fait de ce que vivent les femmes et les hommes qui ont choisi d'œuvrer en agriculture. Il y a bel et bien une crise de l'agriculture et à mon avis, c'est même une crise existentielle.

#Agriculture #CriseAgricole

D'abord, voici la déclaration du premier ministre:

« Les producteurs maraîchers ont été très clairs, a-t-il rétorqué [au chef de l’opposition officielle]. Quand je leur ai demandé quelle est la cause première de leurs problèmes, ils m’ont dit : ce sont les normes qui ne sont pas les mêmes au Québec qu’à l’étranger. » Pas de crise, mais un problème de normes, selon Legault. La Presse.

Disons que c'était passablement réducteur comme tentative de réduire l'ampleur d'une crise qui n'affecte pas que la production maraîchère. Le ministre de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation (MAPAQ) a d'ailleurs tenté de ramener la situation à sa plus juste échelle en parlant de «tempête» et «d'enjeux» face à «plusieurs éléments de façon concurrente qui se manifestent en même temps.»

Justement, dans un texte intitulé Crise agricole en Allemagne. À quand pour le Québec?, Maxime Laplante de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) traite de ces enjeux en les comparant à ceux que vit l'agriculture allemande.

En somme, des problèmes très semblables à ce que vivent les fermes du Québec : dépenses en augmentation, normes environnementales plus exigeantes et coûteuses, augmentation de la valeur des terres, de l’endettement, plus de paperasse due à la bureaucratisation du secteur.

Un peu plus loin dans son texte, Maxime Laplante pointe du doigt l’Union des producteurs agricoles (UPA).

En principe, la fameuse gestion de l’offre devait servir à ça : sécuriser le revenu agricole. Au lieu de ça, c’est devenu une situation de privilèges, gérée en conflit d’intérêts, accentuant la concentration des fermes, l’augmentation de leur valeur, poussant à l’endettement.

Justement, l'Union paysanne présentait le 16 février dernier un mémoire au MAPAQ, dans le cadre de la Consultation nationale sur le territoire et les activités agricoles.

Pour l'Union paysanne, le modèle de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles du Québec (LPTAAQ) actuel renforce les problématiques que nous affrontons : le nombre de fermes au Québec diminue et la moyenne d’âge des agriculteurs augmente.

À mesure que les exploitations se sont regroupées, que les possibilités de se procurer une terre agricole se sont raréfiées et que le prix des terres a augmenté, il est devenu pratiquement impossible pour les femmes, ainsi que pour les hommes ne venant pas d’une lignée agricole, de se lancer dans le métier. La LPTAAQ a eu des conséquences importantes sur la place des femmes en agriculture, elle continue d’en avoir sur le développement et le renouvellement de l’agriculture aujourd’hui.

Bref, le Québec a trop misé sur une agriculture à l'échelle industrielle, dite agriculture productiviste.

En 2007, à la suite d'un autre mémoire de l'Union paysanne, M. Pronovost qui présidait la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois, demanda à la Chaire de recherche du Canada en éducation relative à l’environnement (UQAM), de préciser quels sont les désavantages, les points positifs et les éléments à conserver et à faire évoluer de l’agriculture productiviste.

L'exemple de l'industrie porcine servit à illustrer la réponse de la Chaire: «L’industrie porcine actuelle, dont le développement répondait initialement à l’espoir des bienfaits de la production intensive, montre maintenant de façon fort éloquente les multiples dérives et les fracas de l’agriculture industrielle.» La Chaire invitait également «à envisager de toute urgence des solutions menant au développement d’une agriculture responsable, c’est-à-dire écologique et solidaire.» (Regard sur l’agriculture productiviste à la lumière de l’étude de cas de la production porcine industrielle)

Certes, l'agriculture productiviste a des avantages, dont celui d’augmenter fortement les rendements agricoles et de diminuer les coûts de production, mais depuis un certain temps on assiste à un contrecoup de ses méthodes de production basées sur l'utilisation d'intrants chimiques, mais aussi de ses effets négatifs à la fois sur le milieu agricole et sur tout ce qui gravitait autour de l'agriculture.

Comme l'écrit la Chaire, «l’agriculture productiviste a profondément modifié les rapports des humains avec la terre, la nourriture, la vie.»

Dans l'introduction de son ouvrage Le modèle agricole territorial paru en 2020 aux Presses de l'Université du Québec, Chantale Doucet parle pour sa part de deux logiques d'action en agriculture.

En simplifiant, on peut dire que le développement de l’agriculture fait appel à deux principales logiques d’action, celle sectorielle et structurée par filière fortement encouragée dans le système agricole québécois et l’autre, méconnue, que nous appelons «modèle agricole territorial»

Ce dernier modèle est basé sur des «entreprises agricoles qui misent sur de nouvelles stratégies et valeurs ancrées dans leur milieu avec des modes renouvelés de mise en marché de produits.»

Réalistement, on ne va pas faire disparaitre du jour au lendemain l'agriculture productiviste, mais à tout le moins on devrait de plus en plus tendre vers une autre agriculture qui émerge depuis une vingtaine d’années d'un foisonnement de nouveaux projets collectifs et innovateurs au Québec.

Voilà de quoi nous inspirer afin que notre agriculture puisse continuer d'exister.

Photo: https://www.unionpaysanne.com/


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