Finance religieuse: pas dans ma cour?

La ministre fédérale des Finances dit, dans son dernier budget, vouloir «explorer de nouvelles mesures pour élargir l’accès aux produits de financement de rechange, comme les prêts hypothécaires islamiques». Elle aura provoquét une levée de boucliers contre la finance islamique. Pourtant, cette dernière est bien implantée au Canada depuis de nombreuses années.

#Finance #Islam #Religion

Au fond, ce que les personnes qui sont intervenues contre l'idée des prêts hypothécaires islamiques souhaitent, c'est l'interdiction d'une finance liée à l'Islam.

La finance islamique est sans doute la finance religieuse la plus importante en chiffre dans le monde, la Banque islamique de développement regroupant à elle seule plus de 57 pays, mais ce n'est pas la seule finance liée à une religion.

L'association entre finance et religion est également présente dans le monde chrétien, ainsi que dans le monde hindou et possiblement dans d'autres contextes religieux.

Ce qui n'est pas non plus nouveau, c'est l'agitation autour de cette question. Déjà en 2007, l'arrivée possible de banques musulmanes au Canada avait provoqué tout un remue-ménage à Ottawa.

Toute cette agitation étonne quelque peu. Il y a peu d'années, en effet, un diplômé des HEC, Lachemi Siagh, dont la thèse porte sur ce sujet, faisait profiter de son expertise la branche financière du groupe SNC-Lavalin, la Caisse de dépôt et placement du Québec et la Société de développement des exportations. Jean-Claude Leclerc, L'argent selon la charia – L'arrivée de banques musulmanes remue le monde de la finance au Canada. Le Devoir, 1er octobre 2007.

Deux ans plus tard, on apprenait qu'Ottawa retardait depuis un an la publication d'un rapport sur la possibilité de permettre à des sociétés d'offrir des prêts conformes à la loi islamique. C'est la Société canadienne d'hypothèque et le logement (SCHL) qui avait commandé ce rapport en 2008.

Les prêts hypothécaires conformes à la charia étaient déjà offerts au Canada. Le problème était de savoir comment la SCHL pouvait intervenir dans ces transactions, différentes des transactions hypothécaires qu'elle assure.

Selon l'éditorialiste Michel David, la SCHL «avait écarté cette possibilité qui n’intéresse encore aucune des grandes banques.»

J’en doute, si je me fie ce qu'écrivait la journaliste montréalaise Jillian D'Amours en 2016, dans un reportage traduit et repris sur la version française du site Middle East Eye.

Les banques plus traditionnelles semblent être en train de s’engager dans le secteur : la Banque canadienne impériale de commerce (CIBC), l’une des principales institutions financières du pays, propose désormais des conseils en investissement halal. La Bourse de Toronto a même créé en 2009 un indice conforme à la charia, l’indice islamique S&P/TSX. Jillian D'Amours. Le Canada, prochain centre de la finance islamique ?

D'accord on parle ici d'investissements et non de prêts, mais le fait est que la finance islamique demeure aussi un marché du côté des prêts hypothécaires et je serais étonnée que ce marché n'intéresse aucune grande banque canadienne.

Pour en revenir à l'interdiction d'une finance liée à l'Islam, les recherchistes du Bloc Québécois ont certes bien fait leur travail et leur chef a pu citer Tarek Fatah, à la tête du Congrès des musulmans en 2009, pour qui les prêts hypothécaires conformes à la charia étaient une manifestation du front financier du mouvement islamiste. Rien de moins.

C’est ce qui s’appelle une culpabilité par association.

Au-delà de l'avenir au Canada de cette niche financière, ce qui est sûr, c'est qu'il faut protéger les personnes qui ont recours à du financement conforme à la charia.

Ce n'est pas avec une attitude de rejet qu'on va y parvenir.

————— Pour aller plus loin sur la finance islamique: Fakhri Korbi. La finance islamique : une nouvelle éthique ? Comparaison avec la finance conventionnelle. Université Sorbonne Paris Cité, 2016. (PDF).


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